Écrire... pour quoi ?
Écrire pour faire reculer les ombres, les tenir à distance, les apprivoiser peut-être ? Museler ses doutes, ses inquiétudes, ses angoisses. Écrire pour éviter de penser, pour occuper ses mains qui courent sur le clavier, pour faire tourner les aiguilles de l’horloge en accéléré. Dans l’espoir fou que l’aube, touchée, se lèvera plus vite.
Écrire pour respirer un air plus pur, rendre le quotidien supportable, oublier la bêtise des hommes, sa propre bêtise.
Écrire pour repousser les limites du possible, réécrire le passé, faire douter la mort. Rendre caduques tous les livres d’histoire, raboter le nez de Cléopâtre, changer la face du monde.
S’exiler. S’oublier pour mieux revenir à soi. Se réinventer une mémoire.
Se tromper encore et encore. Faire mentir la vérité. Polir les mensonges et les déposer sur la page, comme on abandonne des galets lisses au courant.
Faire les quatre cents coups, chercher midi à quatorze heures. Se découvrir mille vies, biographies imaginaires de celui qu’on n’a jamais été, qu’on ne sera jamais, des amours à la pelle aussi.
Enfin, enfin ! braquer une banque, voler avec la cape de Superman, faire grimper Marilyn aux rideaux, démasquer Jack l’éventreur, passer à travers les murs sans marteau-piqueur, remonter le cours du temps et se téléporter ici ou ailleurs. Mourir cent fois, être passé au fil de l’épée, pendu, écartelé, écorché vif, fusillé, décapité, et renaître de ses cendres sans une égratignure.
Être tout le monde et personne à la fois. Avoir à nouveau dix ans et construire des cabanes.
Être aimé, adoré même, porté aux nues ou jalousé, méprisé et conspué, mais provoquer des émotions fortes, susciter des sentiments contradictoires, surtout ne pas laisser indifférent, souffler le chaud et le froid mais jamais le tiède.
Faire dire aux mots ce qu’on veut, les malaxer, les triturer, les torturer. Les étirer, les déformer, les réduire en bouillie. Ruer dans les brancards, chambouler la grammaire, bousculer la syntaxe.
Faire pâlir de jalousie ses rêves.
Se prendre pour Dieu et façonner l’homme à son image, empêcher Jésus de monter sur la croix, créer une nouvelle religion puis éteindre les étoiles, les galaxies pour faire des économies d’énergie, faire imploser l’univers par la force de sa pensée.