Le petit monstre de pierre au nez qui coule

Publié le par Quelles Nouvelles ?






L'été bat son plein.

Le grand ballet migratoire des juilletistes et des aoûtiens nous pend au nez.

Les enfants, eux, sont pendus à nos lèvres. Ils réclament une histoire ! une histoire ! une histoire ! Et pas que le soir.



© Stéphane Fetick


Voici donc un conte sans prétention, mais non sans ambition. Comme tout conte, il a une morale. Sauf que j'ignore laquelle. À vous de trouver. Ou pas. C'est l'été, après tout.


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Il était une fois…


Un petit monstre, connu dans toute la région et plus loin encore pour sa méchanceté, sa méchanceté et son nez qui coulait.

Sa méchanceté était de famille ; papa était méchant, maman était méchante, son grand-père et sa grand-mère aussi, et ainsi de suite jusqu’aux plus lointains ancêtres.


Mais de mémoire de monstre, personne n’avait encore eu le nez qui coule.

On avait tout tenté pour endiguer les flots de morve qui s’écoulaient de ses naseaux. Bouchon, pince à linge, superglue, rien à faire. C’était un désastre, une vraie plaie, une infection. Surtout pour les autres : il s’essuyait le nez sur tout ce qui bougeait.

Loin de l’adoucir, cette particularité physique avait renforcé sa méchanceté naturelle. La queue du chat à tirer ? Pas de problème ! Un gâteau au sable à préparer ? Pas de problème ! Une pierre à lancer dans la vitre des voisins ? Pas de problème ! Il était toujours prêt à jouer un sale tour.

Ses parents, qui le trouvaient très prometteur, racontaient avec émotion ses exploits à qui voulait les entendre. Les voisins, eux, tremblaient quand ils entendaient ses pas de petit monstre approcher, ils tremblaient et vite, vite, fermaient leurs volets.

Tous les voisins fermaient leurs volets.

Tous ?

Tous sauf Berlin, un cousin éloigné de Merlin le magicien. Les parents du petit monstre l’avaient mis en garde. C’était un cousin éloigné, d’accord, n’empêche qu’il lui restait assez de pouvoirs magiques pour jouer lui aussi de sales tours.

Sauf qu’il n’en faisait jamais usage.

Jamais ?

Un jour, le petit monstre, qui s’ennuyait et se demandait ce qu’il pourrait bien inventer pour faire enrager quelqu’un, eut une idée lumineuse : il allait peindre en rose les murs de la maison de Berlin. Eh oui, tout le monde savait, dans la région, que le cousin éloigné de Merlin le magicien dé - tes - tait cette couleur.

Cette nuit-là, le petit monstre fit une corde avec ses draps pour sortir de sa chambre par la fenêtre, puis il se glissa sans bruit dans la forêt, un gros pot de peinture à la main. Sans bruit ? Pas vraiment. Berlin le surprit alors qu’il levait le bras pour donner le premier coup de pinceau, le surprit et le figea sur place, le bras en l’air et la goutte au nez.

Comme ça :

 











© Quelles Nouvelles

Les parents du petit monstre pleurèrent beaucoup en le découvrant le lendemain, changé en pierre tout contre la maison de Berlin. Ils pleurèrent beaucoup mais ils devaient s’occuper de tous leurs autres petits monstres, et puis ils pouvaient difficilement s’en prendre à Berlin, et risquer à leur tour d’être changés en pierre, tout contre la maison de Berlin ou même plus loin.

Alors ils déménagèrent. À vrai dire, tous les voisins déménagèrent. Ils auraient pu s’en passer, maintenant que tous ces monstres étaient partis, mais ils avaient un peu peur de Berlin et surtout de ses pouvoirs magiques.

Et le temps passa. Passa. Passa.

La maison de Berlin était en ruines depuis belle lurette, mais le petit monstre de pierre se dressait toujours là, goutte de pierre au nez, attendant on ne sait quoi. Les promeneurs qui entraient dans la forêt continuaient à faire un gros détour pour l’éviter. Ils ne savaient pas trop pourquoi, mais il y avait sur toutes les cartes un gros rond rouge, la couleur du danger, tout autour de son emplacement.

Et le temps passa. Passa. Passa.

On ne voyait plus trace des ruines de la maison de Berlin depuis belle lurette, mais le petit monstre de pierre se dressait toujours là, goutte de pierre au nez, attendant on ne sait quoi.

On ne sait quoi ?

Un jour, un petit garçon qui n’avait pas froid aux yeux s’aventura dans le gros rond rouge qu’on pouvait voir sur toutes les cartes, malgré l’interdiction de ses parents qui pique-niquaient pas très loin.

Le petit garçon aperçut le petit monstre de pierre qui se dressait là et s’approcha, intrigué. Il lui grimpa sur le dos, pour voir, rampa jusqu’à sa tête et se pendit à sa goutte au nez pour s’amuser. Il s’amusa un moment à s’y pendre tête en haut, tête en bas, et puis la goutte de pierre céda sous son poids.

Et voilà le petit monstre enfin débarrassé de sa goutte au nez !

À partir de ce moment, la pierre se mit à se fendiller, un peu plus chaque année. Jusqu’au jour où le petit monstre de pierre, débarrassé de sa coquille, redevint un petit monstre. Tout court.

Publié dans Dans mes tiroirs

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